La crise de la chaise vide et le compromis de Luxembourg

Le financement de la PAC (Politique agricole commune) est au centre des préoccupations de la commission européenne. Au plus tard fin juin de cette année 1965, une décision est attendue. Ainsi, la Commission de la CEE avance des propositions qui vont bien au-delà d’une banale affaire de budget relatif à la PAC.

La commission entend, à cette occasion, faire des suggestions concernant d’une part la création de ressources propres à l’organisation européenne et d’autre part le renforcement du Parlement européen.

Les négociations débutent le 28 juin et prennent rapidement une tournure très politique sur ces deux points qui mettent en cause l’équilibre jusqu’ici préservé entre les six pays de la CEE et la commission. Ce qui est en cause alors, c’est la contestation de la règle de l’unanimité que la France veut conserver.

Maurice Couve de Murville, ministre des Affaires étrangères du Général, qui préside cette session met un terme à ces discussions le 30 juin[1]. Le bras de fer durera 6 mois. C’est la « crise de la chaise vide ».


Conférence de presse du général de Gaulle (9 septembre 1965 – palais de l’Élysée)

Au cours de cette conférence, le Général confirme la position de la France et affirme sa détermination :

« Ce qui s’est passé à Bruxelles, le 30 juin, au sujet du règlement financier agricole a mis en lumière, non seulement les persistantes réticences de la plupart de nos partenaires en ce qui concerne l’entrée de l’agriculture dans le Marché commun, mais aussi certaines erreurs ou équivoques de principe qui figurent dans les traités relatifs à l’union économique des Six. C’est pourquoi la crise était, tôt ou tard, inévitable. 

[…]On voit à quoi pourrait nous conduire une telle subordination si nous nous laissions entraîner à renier, à la fois, la libre disposition de nous-mêmes et notre Constitution, laquelle fixe que la souveraineté française appartient au peuple français, qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum, sans qu’il y soit prévu aucune espèce d’exception.« 

Il faudra six mois pour parvenir à un accord qui valide la position française. Pendant cette période, la France demeure absente de Bruxelles et boycotte la Communauté. De nouvelles discussions se déroulent les 17-18 janvier et les 28-29 janvier 1966 et un accord est signé par les représentants des 6 gouvernements : c’est le « Compromis de Luxembourg ».

Il met fin à la crise institutionnelle en affirmant la nécessité d’une prise de décision à l’unanimité pour les votes importants. Ainsi, la France obtient que lorsqu’une question concerne un intérêt vital[2], les membres du Conseil doivent trouver un compromis jusqu’à ce que cette solution fasse un accord unanime[3].

Charles de Gaulle se félicite du « compromis de Luxembourg » qui permet de contenir les aspects supranationaux de l’intégration européenne communautaire et de commencer à réorienter la construction européenne dans un sens intergouvernemental.

Entre temps, le Général aura été élu le 19 décembre 1965 (première élection présidentielle au suffrage universel). Le 14 décembre 1965, entre le premier et le second tour de l’élection présidentielle, le général de Gaulle répond aux interrogations de Michel Droit sur l’Europe. Le général de Gaulle est en verve et il répond : « Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant : l’Europe, l’Europe, l’Europe, mais cela n’aboutit à rien et cela ne signifie rien. »

En 1992, Paris invoquait le « Compromis de Luxembourg[4] »

La France avait bloqué l’accord agricole de Blair House[5], estimant qu’il menaçait ses intérêts nationaux.

Ce compromis de Luxembourg, qui semblait être tombé aux oubliettes, a été brandi par la France en 1992. Paris s’était alors violemment opposé au préaccord de Blair House.

Houleux débats

La France estimait que cet accord, accepté par le commissaire européen, l’Irlandais Raymond MacSharry, était incompatible avec la réforme de la politique agricole commune intervenue six mois auparavant. Le Premier ministre de l’époque, Pierre Bérégovoy[6], fit alors explicitement référence au compromis de Luxembourg, lors d’une communication officielle devant les députés français, le 26 novembre 1992.

Il aura fallu plus d’un an et de houleux débats au sein du Conseil européen pour qu’une renégociation de l’accord de Blair House le rende acceptable aux yeux de Paris.


[1] La délégation française est en outre composée du ministre des Finances, Valéry Giscard d’Estaing, et du ministre de l’Agriculture, Edgar Pisani.
[2] Texte du compromis : « Lorsque dans le cas d’une décision susceptible d’être prise à la majorité sur proposition de la commission, des intérêts très importants d’un ou plusieurs partenaires seront en jeu, les membres du Conseil s’efforceront dans un délai raisonnable de parvenir à des solutions qui pourront être adoptées par tous les membres du Conseil dans le respect de leurs intérêts et de ceux de la communauté. »
[3] « […]ce compromis est toujours en vigueur. Il est intéressant de voir comment, en acceptant de dire non et en créant une crise limitée, Charles de Gaulle n’a pas détruit l’Europe ou la PAC, mais les a sauvées. »,Henri Guaino, Sud-Radio, 2019.
[4] Les Échos, 8 novembre 2005.
[5] Novembre 1992 : accords de Blair House entre les États-Unis et la CEE, débloquant les négociations agricoles.
[6] Pierre Bérégovoy, Premier ministre du 2 avril 1992 au 29 mars 1993, sous la seconde présidence de François Mitterrand.

octobre 28, 2021

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