La France est veuve

10 novembre 1970, 11 heures.

La Une de « France Soir » est visible de loin : « De Gaulle est mort ». Un an et demi après son retrait de la vie politique. La France est en deuil.

À 13 heures, au journal télévisé, le Président Pompidou rend un premier hommage :

« Françaises, Français, le général de Gaulle est mort, la France est veuve. En 1940, de Gaulle a sauvé l’honneur, en 1944, il nous a conduits à la Libération et à la victoire, en 1958, il nous a épargnés la guerre civile, il a donné à la France actuelle ses institutions, son indépendance, sa place dans le monde. En cette heure de deuil pour la Patrie, inclinons-nous devant la douleur de Mme de Gaulle, de ses enfants, de ses petits-enfants. Mesurons les devoirs que nous impose la reconnaissance. Promettons à la France de n’être pas indigne des leçons qui nous ont été dispensées et que, dans l’âme nationale, De Gaulle vive éternellement ».

Georges Pompidou

À Colombey et dans toute la France, un hommage au « plus illustre des Français ».

Le 12 novembre, à Colombey-les-Deux-Eglises, comme l’avait souhaité le général de Gaulle, « des hommes et des femmes de France et d’autres pays du monde » se sont amassés dans les ruelles de ce village de 400 âmes pour rendre « au plus illustre des Français » un dernier hommage.

Émotions, sanglots, silence respectueux. La France est veuve.

Le half-track sur lequel le cercueil drapé du drapeau tricolore a été hissé sort de la Boisserie en direction de l’église et du cimetière qui l’entoure.

Dans les voitures qui suivent le cortège, ont pris place Madame de Gaulle, ses enfants et petits-enfants, ses collaborateurs et amis intimes.

Un détachement de chacune des trois armes qui composent nos forces militaires, ainsi qu’un bataillon de la Gendarmerie lui font une haie d’honneur.

Au terme de cet impressionnant cheminement vers sa dernière demeure, le cercueil est porté par douze jeunes Colombéens jusqu’au bas de l’autel de l’église bien trop petite pour accueillir la foule immense de près de 100 000 personnes. Il est 15 heures. Dans toute la France, le glas sonne au même moment.

Grâce aux haut-parleurs installés la veille dans le centre du village, tous pourront suivre le déroulement de l’office célébré conjointement par l’Évêque de Langres Mgr Atton, le curé de la paroisse et un des neveux du Général.

Puis le cercueil est déposé dans le caveau familial où repose depuis 1948 Anne la fille d’Yvonne et Charles de Gaulle.

Comme il l’avait intimé dans son testament, l’inscription sur la tombe est simple : « Charles de Gaulle 1890-1970. »

Je veux que mes obsèques aient lieu à Colombey les Deux Églises. Si je meurs ailleurs il faudra transporter mon corps chez moi, sans la moindre cérémonie publique. Ma tombe sera celle où repose déjà ma fille Anne et où reposera ma femme. Inscription : Charles de Gaulle (1890-…). Rien d’autre.
La Cérémonie sera réglée par mon fils, ma fille, mon gendre, ma belle-fille, aidé par mon cabinet, de telle sorte qu’elle soit extrêmement simple. Je ne veux pas d’obsèques nationales. Ni président, ni ministres, ni bureaux d’assemblées, ni corps constitués.
Seules les armées Françaises pourront participer officiellement, en tant que telles ; mais leur participation devra être de dimensions très modestes, sans musique, ni fanfare, ni sonneries. Aucun discours ne devra être prononcé, ni à l’église, ni ailleurs. Pas d’oraison funèbre au Parlement.
Aucun emplacement réservé pendant la cérémonie, sinon à ma famille, à mes compagnons membres de l’ordre de la Libération, au Conseil Municipal de Colombey.
Les hommes et les femmes de France et d’autres pays du monde pourront, s’ils le désirent, faire à ma mémoire l’honneur d’accompagner mon corps jusqu’à sa dernière demeure. Mais c’est dans le silence que je souhaite qu’il y soit conduit.
Je déclare refuser d’avance toute distinction, promotion, dignité, citation, déclaration, qu’elle soit française ou étrangère.
Si l’une quelconque m’était décernée, ce serait en violation de mes dernières volontés.

Charles de Gaulle — 16 janvier 1952

Un moment historique

Ce même jour, le Paris officiel et une immense foule se massent à Notre-Dame de Paris. Chefs d’États, Monarques et Princes adressent un solennel adieu à Charles de Gaulle.
La messe célébrée par Mgr Marty en présence du Président Pompidou, de son Gouvernement et de 80 chefs d’État étrangers : Nixon[1], Gandhi[2], Ben Gourion[3], Macmillan, etc. respecte également le souhait du Général : sobriété et dignité. Minute de silence émouvante. Plus de 100 000 personnes se tassent sur le parvis. Hommes de toutes races, de tout âge, jeunes et même très jeunes sont présents car ils savent qu’une page d’Histoire se tourne ce jour.

J’y étais

Dans la soirée, sur les Champs-Élysées, plusieurs centaines de milliers de personnes défilent sous une pluie glaciale. Je[4] suis présent, perdu dans cette foule immense. J’ai froid, mais je ne suis pas seul. Les larmes des hommes et femmes les plus sensibles se mêlent aux miennes.


[1] Richard Nixon (1913-1994) Président des États-Unis de 1969 à 1974.
[2] Mohandas Karamchand Gandhi. (1869-1948) Homme politique et guide spirituel indien.
[3] David Ben Gourion (1886-1973) Fondateur de l’État d’Israël, dont il est Premier ministre de 1948 à 1953 et de 1955 à 1963.
[4] Je : Alain Kerhervé