Le Nationalisme algérien

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Légende photo FLN 1954 : « Groupe des six », chefs du FLN 1954. Debout, de gauche à droite : Rabah Bitat, Mostefa Ben Boulaïd, Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf. Assis : Krim Belkacem à gauche, et Larbi Ben M’hidi à droite

Le nationalisme ! Que de mots et de maux à l’évocation de ton nom ! Adulé par les uns, vilipendé par les autres. Que de bienfaits, que de crimes en ton nom !

Qu’en est-il du concept de nationalisme ?

Le nationalisme est avant tout ce sentiment d’appartenance, d’attachement, de liens, de chaque homme à une communauté distingue des communautés voisines par toute une série de critères singuliers, particuliers qui traduisent l’originalité de chaque peuple.

Ce sentiment pousse les membres de la nation à défendre et promouvoir les valeurs, les éléments constitutifs (mœurs, mode de vie, langue, culture, coutumes, société, traditions, passé, religion(s), histoire…) qui lient les individus entre eux pour vivre de façon cohérente la communauté de destin.

Ce sentiment d’appartenance à un peuple singulier peut pousser ses membres à vouloir vivre dans le cadre d’un État souverain, au nom du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, comme l’a toujours prôné le général de Gaulle notamment lors de son discours de Brazzaville le 30 janvier 1944 :

[...]en Afrique française, comme dans tous les autres territoires où des hommes vivent sous notre drapeau, il n’y aurait aucun progrès qui soit un progrès, si les hommes, sur leur terre natale, n’en profitaient pas moralement et matériellement, s’ils ne pouvaient s’élever peu à peu jusqu’au niveau où ils seront capables de participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires. C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi.

L’introduction du Général à la Conférence africaine française de Brazzaville apporte des éléments indiscutables définissant l’ouverture du général de Gaulle sur les territoires français : il appelle les Africains à « participer chez eux à la gestion de leurs propres affaires ». Il n’est certes pas encore question d’indépendance, mais la voie de l’émancipation est ouverte, et « il ne faut pas tarder ».

C’est la reconnaissance, avant les accords internationaux, et l’affirmation des droits imprescriptibles, politiques, des populations indigènes colonisées sur leur propre pays. C’est aussi un programme à mettre en œuvre impérativement : « C’est le devoir de la France de faire en sorte qu’il en soit ainsi ! »

D’ailleurs, dans son discours, Charles de Gaulle avance une méthodologie. L’attachement de chacun(e) à sa nation, à son peuple, n’est pas synonyme de « repli identitaire » et n’exclut en rien son admiration pour d’autres nations que la sienne. Toute proportion gardée, l’attachement, l’adhésion, le soutien de supporters à un club sportif n’empêchent pas ces supporters d’admirer d’autres clubs. Pourquoi, et en quoi, dans le cadre qui nous concerne, le fait de soutenir le nationalisme « algérien » serait-il, idéologiquement, progressiste, de gauche, tandis que dans le même temps, affirmer son attachement à la nation française serait de droite et la manifestation d’un repli identitaire ?

Pour mémoire, le terme « nation » est lié à la naissance, à natus (né). C’est pourquoi Ernest Renan a pu affirmer que « la nation est une âme, un principe spirituel », ce qui n’exclut en rien la dimension de la communauté de destin, par adhésion.

La « patrie » tire son sens, sa signification de patres soit « ancêtres ». Le patriotisme est ce sentiment fort, cet attachement viscéral à la terre de ses ancêtres au point d’être prêt à payer de sa vie pour la défendre.

Le nationalisme algérien

Le nationalisme, en Algérie, est né de la conquête du territoire par les troupes militaires françaises, de l’installation des colons européens (Français, Espagnols…), des mesures arrêtées par l’administration.

Il se développe dans l’esprit de la population indigène en raison de l’agression subie de la société traditionnelle privée d’une partie importante de leurs terres agricoles confiées aux colons.

En outre, les locaux contestent leur statut politico-social qui les réduit à n’être que des sujets mineurs et non des citoyens. Ils rejettent, par la voix de leurs représentants et leaders, le statut de l’indigénat qui leur réduit les libertés publiques ordinaires en termes de déplacement, de réunion, de presse, d’éducation, d’accès à la fonction publique, etc.

Au fil des décennies, l’effet du contenu de l’éducation et de la formation à la française pousse les intellectuels à revendiquer leurs droits, au nom des valeurs proclamées par la France, et leur application sur la terre algérienne, leur patrie.

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, et plus encore après le deuxième conflit mondial, les nationalistes algériens trouvent des appuis au niveau international, pour des raisons et intérêts différents.

La IIIInternationale, l’URSS, le PCF[1] soutiennent la montée du nationalisme en Algérie comme dans les colonies au nom de la lutte contre l’exploitation de l’homme par l’homme slogan marxiste usité dans la propagande communiste.

En 1935, le PCF affirme : « La nation française n’est pas la nation du peuple algérien, c’est une nation étrangère au peuple d’Algérie, c’est la nation oppresseuse, c’est la nation de l’impérialisme qui s’est annexé l’Algérie et qui courbe sous l’esclavage la nation algérienne ». Son secrétaire général Maurice Thorez ajoute : « L’Algérie… nation en formation ». Quoi de plus clair ?

Quant aux États-Unis, ils fondent leur soutien aux Algériens sur le libre-échange, l’accès libre aux marchés, soit le libéralisme économique.

Des courants nationalistes sont fondés par des leaders emblématiques : Émir Khaled, petit-fils d’Abdelkader, Messali Hadj, Ferhat Abbas, Benjelloul[2] etc. Ils s’organisent, s’opposent, évoluent, modifient le contenu de leurs revendications et programmes tout au long du XXsiècle, à compter surtout des années 1920.

Les réformistes et assimilationnistes militent pour une égalité entre les indigènes et colons européens. Les jeunes Algériens constitués de quelques centaines d’intellectuels modernistes, de membres de professions libérales, sont qualifiés de jeunes mécréants européanisés par leurs adversaires politiques, au prétexte que laïcs, ils réclament une meilleure représentation dans les assemblées et supplient la métropole en 1913 : « Instruisez-nous, assistez-nous, associez-nous à votre prospérité, à votre justice. Nous serons avec vous aux heures du danger ». (L’émir Khaled).

Entre les deux guerres mondiales, les jeunes algériens, mieux structurés politiquement confirment leur programme. Ils réclament une égalité en tous points avec les Européens, confirment leur volonté d’attachement administratif à la France.

Cependant, à la veille de la Seconde Guerre mondiale, faute de réformes sensibles, en raison du refus d’octroyer la citoyenneté française aux Algériens musulmans, la position des élus jeunes algériens évolue au point d’exprimer des propos autonomistes, voire nationalistes.

Le 12 décembre 1943 à Constantine en Algérie, le Comité français de la Libération nationale (CFLN) accorde la citoyenneté française à soixante mille musulmans et promet des réformes institutionnelles.

Ces décisions préparées par le général Catroux, gouverneur de l’Algérie, commissaire d’État aux affaires musulmanes, sont annoncées publiquement par le général De Gaulle place de la Brèche. Comme nous le rappelle Jean Lacouture[3], le général De Gaulle assure avoir vu « pleurer d’émotion » le Dr Bendjelloul.

Jean Lacouture pose alors le problème de fond. « André Philip, précise-t-il, rapportait qu’ayant parlé au Général, au lendemain du discours de Constantine, d’une nécessaire évolution vers l’autonomie interne des départements algériens, s’attira cette riposte [du Général] : Autonomie ? Voyons, Philip, c’est par l’indépendance que tout cela finira ! »

La voie de l’indépendance de l’Algérie est déjà tracée.

En 1946, Ferhat Abbas, personnalité majeure des jeunes Algériens, fonde l’UDMA (Union démocratique du manifeste algérien).

« Ni assimilation, ni nouveau maître, ni séparatisme », tel est le slogan du mouvement qui revendique les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes, et souhaite la mise en place d’un État associé à La France. En 1954, l’UDMA est en proie à une crise interne : les jeunes militants contestent la direction du mouvement.

Le mouvement des islamistes ou réformistes musulmans, fondé en 1920 par des personnalités religieuses, Oulémas[4], se déclare apolitique et affirme vouloir « relever le peuple musulman algérien de sa déchéance intellectuelle et morale ».

Il défend le fait national algérien : « La nation algérienne musulmane s’est formée et existe… Elle a son unité religieuse et linguistique, elle a sa culture, ses traditions et ses caractéristiques ».

La rigidité de l’administration française pousse le mouvement à s’engager dans la voie politique et à dénoncer la politique coloniale.

La devise des islamistes, des oulémas, en 1931, est un véritable manifeste politique : « L’islam donne ainsi une dimension religieuse au nationalisme et patriotisme algérien. »

Les mouvements indépendantistes.

L’ENA (Étoile nord-africaine) fondée à Paris en 1926 par des Maghrébins émigrés installés en France, vise l’indépendance du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Proche de la IIIInternationale, Messali Hadj s’impose rapidement comme la figure emblématique de l’ENA. Son slogan, « L’Algérie aux Algériens », est clair sur l’objectif : la nationalisation des infrastructures et des moyens de production.

En 1937[5], l’ENA est dissoute par décret pour « atteinte à l’intégrité territoriale de la France ». Cette même année, peu après la dissolution de l’ENA, Messali Hadj crée le PPA (Parti du peuple algérien). Il est arrêté « pour reconstitution d’une ligue dissoute… et manifestations contre la souveraineté française ». Le programme de l’ENA est maintenu, confirmé. Le PPA accroît sa popularité dans les milieux ruraux algériens, auprès des jeunes, recrute dans les milieux populaires ouvriers, diffuse ses idées par sa propre presse.

À son tour, pour les mêmes raisons, en 1939, le PPA est dissout. Néanmoins le parti fonctionne légalement sous une nouvelle appellation, le MTLD (Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), tandis qu’une aile agit clandestinement.

À nouveau, l’arrestation et l’emprisonnement de Messali Hadj renforcent l’audience de son mouvement et le prestige de son leader, entretiennent les campagnes anticolonialistes : « Le PPA vaincra », « L’Algérie aux Algériens » fleurissent et se répandent en inscriptions sur les murs.

En vue de la lutte armée à venir, l’Organisation spéciale (OS) se met en place. Des mouvements annexes se développent et s’agrègent : scoutisme, associations d’étudiants, de femmes… Des écoles coraniques sont ouvertes.

À partir de 1949, le mouvement MTLD–PPA est secoué par une crise politique qualifiée de « berbériste », car elle concerne la place à accorder aux Berbères dans une future Algérie arabe et musulmane. Les principaux responsables du courant berbériste sont écartés. Nombre de dirigeants kabyles, « hommes nobles et libres », sont exclus du MTLD qui enregistre en son sein, en 1954, une sécession provoquée par une divergence grave sur les orientations politiques fondamentales. Trois courants s’opposent : les messalistes, les centralistes et les activistes. Ces derniers, partisans de la lutte armée contre la France, sont à l’origine du déclenchement de la guerre d’indépendance, lors de la Toussaint rouge du 1er novembre 1954.

Pour l’anecdote, le PCA (Parti Communiste algérien) fondé en 1936 soutient, après la guerre, le projet d’une république algérienne dans le cadre de l’Union française, favorise en son sein la présence de militants algériens et européens, se rapproche des autres courants nationalistes algériens.

Le FNL, issu de l’OS (Organisation Spéciale, du PPA puis du MTLD), des activistes et des centralistes se regroupent et proclament le 31 octobre 1958 la constitution d’un Front de libération nationale, tout en informant que la guerre de libération nationale commence le 1er novembre 1954.

Alain Kerhervé & Gérard Quéré
« Découvrir, comprendre De Gaulle »


[1] Parti communiste français.

[2] Mohammed Saleh Bendjelloul (1893-1985) Médecin généraliste et politicien nationaliste algérien modéré. Cofondateur de la Fédération des élus indigènes aux côtés de Ferhat Abbas en 1927, il a également fondé la Fédération des Élus du Constantinois en 1931-1932. Il fut député à l’Assemblée nationale française jusqu’à ce que l’Algérie devienne indépendante. Personnalité politique influente, Bendjelloul a contribué au développement du nationalisme algérien, avant la Révolution, par ses efforts visant à établir l’égalité des droits civiques et politiques entre les Français et les Algériens.

[3] De Gaulle, Le rebelle, Seuil, page 753

[4] Oulémas : ce sont des docteurs de la loi coranique, des théologiens, donc les garants et défenseurs des principes de l’Islam.

[5] Gouvernement de gauche du Front populaire (1936-1938), Léon Blum.

mars 28, 2022