Un alibi contre le remords après le référendum de 1969
Pour terminer cette dernière page de Charles de Gaulle Président de la République , il convient de situer le niveau d’engagement du Général pour le référendum d’avril 69 et de mettre un terme à l’idée que ce référendum n’était rien d’autre qu’un scénario de sortie à la hauteur de l’homme du 18 juin.
Pour certaines élites politiques, y compris dans son entourage, c’est le scénario facile, celui qui pourrait les dédouaner de leur double jeu et d’avoir parié sur la défaite du Général pour féconder au mieux leur « carrière ».
Bien plus tard, Maurice Couve de Murville, dernier Premier ministre du Général, confiait que « la version du référendum-suicide est venu très largement après coup ».
Et Jean-Marcel Jeanneney de mettre les points sur les i : « Il est probable qu’en propageant cette version après coup, des gens qui passaient pour des partisans du général de Gaulle mais qui en fait l’avaient trahi avant le référendum ont voulu se donner à leurs propres yeux un alibi contre le remords ».*
La « Participation » avant ses 80 ans.
Cette soi-disant sortie-suicide du Général n’a d’ailleurs aucun sens. Il suffit pour s’en convaincre de rappeler qu’avant ce référendum, le chef de l’État voulait aller très vite sur le dossier concernant la « participation », thème qui, contrairement à la régionalisation et la réforme du sénat, ne figurait pas dans les textes soumis à l’approbation des Français pour des raisons purement constitutionnelles, ce sujet ne pouvant faire l’objet que d’une loi.
C’est ainsi que le Gouvernement de Couve de Murville avait pour mission de préparer les textes suffisamment en amont du référendum pour que dès le lendemain soient prévus la discussion et le vote d’une loi sur ce sujet.
Le remplaçant de Pompidou à Matignon l’admet en 1976 : « Autant que je me rappelle, le général de Gaulle avait l’intention (il m’en avait parlé avant le référendum) de mettre en discussion au parlement – dont la session devait reprendre normalement après le scrutin – un projet de réforme des sociétés et du régime de gestion des entreprises ».
Quant à Maurice Schumann, alors ministre du travail, il confirme : « Le Général m’a demandé de la façon la plus claire de préparer un projet de loi sur la participation dans l’entreprise. Il estimait que le succès électoral de 68 n’avait un sens que s’il ouvrait en 69 l’ère des vraies réformes ».
Anne et Pierre Rouanet en précisent, dans leur ouvrage, les dispositions.
Tout d’abord le Général veut un texte complet dont l’application devait être immédiate sans besoin de décrets interprétatifs d’application.
Les articles de ce projet sont déjà rédigés au moment du référendum. De Gaulle veut aller vite et loin.
L’article 1 détermine le champ d’application : toutes les entreprises, privées ou publiques de plus de 100 salariés… et institue des « délégués à la participation » élus (Article 2) par les salariés de l’entreprise au scrutin secret et uninominal à un tour, tout salarié pouvant être candidat.
Ainsi, ce texte sépare bien le rôle revendicatif des organisations syndicales de celui de représentant des salariés pour « gérer la participation ». C’est aussi un pas vers la suppression du monopole de candidatures accordé aux seuls syndicats dits représentatifs.
Les articles 5 et 6 déterminent les principes de la négociation du « contrat de participation » et le processus de validation par le personnel.
Les articles suivants traitent de l’information due aux salariés concernant la vie de l’entreprise (Production, volume de fabrication, ventes, comptes d’exploitation, les bilans financiers…). Le Comité de participation pourra émettre des avis qui seront communiqués à l’ensemble du personnel… En fait, ce comité aura tous les moyens pour « participer » à la vie de l’entreprise, dans tous les domaines, avec le souci d’intéresser l’ensemble des salariés à l’avenir de l’outil de travail. Toutes les observations et suggestions de sa part « doivent faire l’objet d’une réponse motivée du chef d’entreprise sur la suite pouvant leur être réservée » prévoit l’article 12.
La formation économique des représentants du personnel sera organisée par l’entreprise ** (technique de gestion notamment) et le personnel initié aux problèmes économiques.
La négociation et la validation des accords d’intéressement (application des ordonnances 59 et 67), ainsi que leur application deviennent des prérogatives du Comité de participation (Article 14).
Ce
projet révolutionnaire avait de quoi effaroucher syndicats et patrons. Mais
avant le référendum du 27 avril, les salariés-électeurs ne connaissent pas ce
projet. « Les ministres n’ont pas
relayé le Général. Ils sont allés au référendum sans mener campagne. Ils ont eu
peur de perdre plus du côté conservateur qu’ils n’auraient gagné du côté
progressiste. À ce calcul-là ils ont perdu sur les deux tableaux » concluent
Anne et Pierre Rouanet.
*« Les trois derniers chagrins du général de Gaulle » d’Anne et Pierre Rouanet.
**Ou par le Conseil national de la Participation créé par cette loi (Article 18).