Reynaud cède, De Gaulle s’identifie à la France

13 jours au gouvernement pour poursuivre la guerre

Paul Reynaud remanie son gouvernement le 5 juin et le général de Gaulle occupe le portefeuille de sous-secrétaire d’État à la Défense nationale[1]. Dans ce cabinet ministériel, Philippe Pétain est vice-président. Un conflit s’y déroule entre les partisans de l’armistice avec l’Allemagne et ceux qui souhaitent poursuivre la guerre. Pétain réclame l’armistice, le général de Gaulle est contre. Le début d’une longue histoire !

Le Conseil suprême interallié (franco-anglais) se réunit en urgence le 11 et 12 juin 1940 au château du Muguet, à Breteau dans le Loiret. Winston Churchill est accompagné d’Anthony Eden. Quant à Paul Reynaud, il est entouré de Philippe Pétain, des généraux Maxime Weygand et Alphonse Georges et du tout nouveau sous-secrétaire d’État à la Guerre et à la Défense nationale : Charles de Gaulle.

Le jeudi 13 juin, le Général revient de Beauvais pour se rendre à une rencontre anglo-française à Tours. Les pro-armistices du gouvernement derrière Pétain et Weygand semblent l’emporter. Le Général songe à démissionner, mais Georges Mandel l’en dissuade afin d’obtenir des aides conséquentes pour poursuivre le combat contre l’armée allemande. Paul Reynaud, dont le gouvernement s’est installé à Bordeaux, demande à son secrétaire d’État de se rendre à Londres. Jamais Charles de Gaulle n’a foulé les terres britanniques auparavant.

Winston Churchill et Charles de Gaulle : une relation passionnée

Dans son ouvrage « De Gaulle. Une certaine idée de la France », Julian Jackson[2] dépeint un général intelligent, à l’écoute et doté d’une redoutable adresse politique :

Churchill était très attiré par le côté romantique de Charles de Gaulle, par cet homme pétri d’histoire. L’ancien Premier ministre anglais pensait que le Général serait dépendant de lui… Mais de Gaulle, par la puissance de sa parole, s’est échappé de son emprise.
Considère-t-il de Gaulle comme intransigeant ? « Mon de Gaulle est quelqu’un qui écoute les autres. C’était un chef politique qui était capable de s’adapter », relève l’historien. Il poursuit : « Il a réussi, quasiment sans armée, à maintenir la France au rang de puissance mondiale. Il a fait ça par la force de sa personnalité et par son adresse politique.

14 juin 1940

Les Allemands entrent à Paris déclarée « ville ouverte ». Sous la menace d’un bombardement de la capitale, un cessez-le-feu est signé à 7 h 30. C’est le début de l’occupation.

« L’occupant, dès le jour de son arrivée, multiplie les mesures : tous les drapeaux français sont décrochés des bâtiments publics, y compris ceux, historiques, des Invalides, et remplacés par l’emblème infamant du IIIReich ; sur l’Arc de Triomphe, toute la journée durant, flotte une immense croix gammée. Dorénavant mise à l’heure de Berlin, Paris voit certains de ses habitants se suicider pour échapper au déshonneur », nous décrit Auriane de Viry dans la Revue des deux mondes du 17 juin 2017.

Au petit matin de cette funeste journée, le général de Gaulle et son aide de camp, le lieutenant Geoffroy de Courcel, arrivent à Rennes par la route. La veille, à Bordeaux, Paul Reynaud a décidé d’envoyer son sous-secrétaire d’État à Londres pour une ultime tentative. Comme aucun avion n’était disponible, le Général et le lieutenant empruntent une automobile.

De Rennes, de Gaulle passe par Paimpont où il embrasse sa mère dont la santé est chancelante. Puis, par Carhaix, Morlaix, il atteint Carantec où Yvonne de Gaulle l’attend avec ses trois enfants et la gouvernante, Marguerite Potel. « Soyez prêts à partir », dit le Général, avant de filer à Brest où, avec de Courcel, il embarque sur le Milan.

16 juin. Débarqués à Plymouth au petit matin, les deux hommes rejoignent Londres. Là, le Général va prendre sa première décision historique. Sans l’avis du gouvernement, il ordonne que le Pasteur venant des USA vers la France avec une cargaison d’armes (dont 1000 canons de 75) soit détourné dans un port anglais. Pour lui, les dés sont-ils jetés ?

Pas tout à fait. Dans un hôtel de Hyde Park – à proximité de l’Ambassade de France – Jean Monnet, président du comité de guerre franco-britannique, et l’ambassadeur Charles Corbin viennent lui proposer un projet d’union entre les deux pays. Ce projet, rédigé en collaboration avec Arthur Salter et le rennais René Pleven, est assez révolutionnaire, puisqu’il prévoit une fusion des deux États – administrativement et militairement – jusqu’à la victoire finale. Ainsi, Anglais et Français seraient concitoyens !

À 16 h 40, ce même jour, de Gaulle obtient Reynaud au téléphone et lui lit le texte. Le président du Conseil n’en croit pas ses oreilles et Churchill doit lui en confirmer lui-même la véracité : « Allo ! Reynaud ! De Gaulle a raison ! Notre proposition peut avoir de grandes conséquences. Il faut tenir ! » (Mémoires de guerre – L’Appel ). Rendez-vous est pris pour un conseil suprême le 17 juin à Concarneau. Il n’aura jamais lieu…

À Bordeaux, à 17 h, le Conseil des ministres se réunit sous la présidence d’Albert Lebrun. À peine Reynaud a-t-il terminé sa communication que Pétain s’exclame : « C’est un mariage avec un cadavre ». La proposition, mise aux voix, est refusée. Au contraire, une majorité se dégage pour demander les conditions d’Armistice aux Allemands.

À Londres, à 18 h 30, de Gaulle, qui ignore ce douloureux dénouement, s’envole à bord de l’avion personnel de Churchill.

20 h, Bordeaux. Le Président du Conseil, Paul Reynaud, présente sa démission au président de la République qui l’accepte.

Le maréchal Pétain, sollicité pour former le nouveau gouvernement, propose Pierre Laval[3] aux Affaires étrangères et Maxime Weygand à la Défense, François Darlan à la Marine, Yves Bouthillier aux Finances.

21 h 30, Mérignac, aérodrome de Bordeaux. Le général de Gaulle est informé par le colonel Jacques Humbert et Auburtin, membres de son cabinet, des dernières nouvelles. Sa décision est prise.

17 juin. Le général de Gaulle s’est assuré des ultimes formalités. Sa femme et ses enfants, qui le rejoindront plus tard, recevront leurs passeports à Carantec. Quant à Paul Reynaud, qui a finalement décidé de rester, il remet 100 000 F, provenant de ses fonds secrets, au « chargé de mission ».

9 h. Trois hommes prennent place dans l’avion qui les a amenés la veille : de Gaulle, de Courcel et le général Edward Spears, ami de Churchill. Personne ne prête attention à eux.

Plus tard, Charles de Gaulle relatera dans ses Mémoires de guerre : « Nous survolâmes La Rochelle et Rochefort. Dans ces ports brûlaient des navires incendiés par les avions allemands. Nous passâmes au-dessus de Paimpont, où se trouvait ma mère, très malade. La forêt était toute fumante des dépôts de munitions qui s’y consumaient (…) Je m’apparaissais à moi-même, seul et démuni de tout, comme un homme au bord de l’océan qu’il prétendrait franchir à la nage. » 

Pourtant, ce soir du 17 juin, à Londres, au cours du dîner, Mme Jean Monnet l’interroge sur sa mission, le Général réplique : « Je ne suis pas en mission, Madame. Je suis ici pour sauver l’honneur de la France ». 

18 juin. C’est l’Appel. « La France a entendu sous les brouillages une voix encore malhabile avec ses tons brusquement aigus, comme si elle n’avait pas encore fini de se former, mais déjà impérieuse », souligne Eugène Mannoni .

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[1] Contre l’avis de Pétain et Weygand.

[2] Julian Timothy Jackson est un historien britannique. Il est membre de la British Academy et de la Royal Historical Society. Professeur d’histoire à la reine Mary de l’université de Londres.

[3] Cf. notice biographique en annexe.

[4] Eugène Mannoni, Moi, général de Gaulle, Seuil, Paris, 1964.

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